[ad_1]
L’Express : Depuis votre retour sur Terre voilà maintenant neuf mois, êtes-vous surpris par votre nouvelle popularité qui vous a amené au festival de Cannes, à participer au spectacle des Enfoirés et vous place deuxième sur le podium du classement des personnalités préférées des Français établi par le JDD ?
Un peu étonné et un peu dépassé parfois. D’autant que tout s’est passé en décalé à cause de la pandémie qui n’a eu de cesse de perturber la préparation de la mission Alpha, mais aussi le retour m’amenant, comme tout le monde, à respecter un certain nombre de contraintes sanitaires. Finalement, au quotidien, c’est dans l’espace à 400 kilomètres d’altitude que le Covid a été moins présent…
Pour être franc, le succès public de ma première mission m’avait déjà surpris et je m’étais dit qu’il retomberait un peu avec la seconde. Après tout, pour l’une comme pour l’autre, je n’ai fait qu’envoyer des photos et quelques vidéos et je pensais que les gens en auraient marre. Mais c’est l’effet inverse qui s’est produit, sans doute à cause des confinements obligatoires : les Français étaient bloqués chez eux, sans possibilité d’évasion et peut-être que mon séjour en orbite leur a donné un peu de rêve au quotidien ou l’impression de voyager à travers mes yeux. Si tel est le cas, une bonne partie de la mission est réussie [rires]. L’engouement n’a pas baissé et je suis toujours déconcerté par la bienveillance des personnes qui me reconnaissent dans la rue. Là, avec l’été, j’ai l’impression d’être dans une espèce de tourbillon qui m’emmène d’un événement à l’autre.
Offre limitée. 2 mois pour 1€ sans engagement
En termes d’actualité, impossible de ne pas évoquer le conflit ukrainien et ses répercussions dans le spatial : comment les choses se passent-elles à bord de l’ISS, dont l’avenir se trouve menacé par les Russes ?
Au quotidien, je pense que tout se passe bien. Là-haut, on est un équipage. Tous dans le même bateau et on ne peut se permettre d’avoir des tensions à bord. Les astronautes ont été sélectionnés pour s’entendre et certains d’entre nous sommes vraiment des amis. Après, nous ne sommes pas responsables de ce que font nos pays et chacun a ses propres opinions. Ainsi, par exemple, la logique veut qu’à table, le soir, on aborde avec précaution les questions politiques et religieuses. Mais je me suis quand même demandé comment j’aurais procédé si l’invasion de l’Ukraine s’était déroulée pendant que j’étais commandant de l’ISS et donc avec la responsabilité de maintenir la cohésion de l’équipage. Je crois que la meilleure conduite à tenir est de réunir tout le monde pour aborder le sujet, plutôt que de faire comme si ça n’existait pas. Puis de rappeler nos objectifs communs et la nécessité de bien s’entendre. Je suppose que mes successeurs ont agi ainsi. Depuis le début de l’invasion, heureusement, les choses se passent en bonne intelligence entre les deux centres de contrôle aux Etats-Unis et en Russie. Chacun respecte ses engagements, qui ont été pris il y a plusieurs années. En revanche, c’est pour le futur que les choses m’inquiètent puisque les programmes de coopération sont annulés un à un. C’est dans cinq à quinze ans que l’on en mesurera les conséquences.
Depuis deux décennies, la conquête spatiale a considérablement évolué avec l’irruption d’acteurs du secteur privé dans un monde jusque-là dominé par les grandes agences spatiales. Pour les citer, les Elon Musk et Jeff Bezos estiment que le futur de l’humanité passe par une expansion dans l’espace. Partagez-vous leur vision multiplanétaire ?
Au risque de casser un peu l’ambiance et parce que je suis le produit de ces grandes agences spatiales, je vous répondrais que ma vision est plus précautionneuse : cela fait soixante ans que les agences font la conquête spatiale et nous savons à quel point c’est difficile, que la route est parsemée d’embûches, et qu’il faut donc avancer « step by step » [NDLR : pas à pas], comme disent les Américains. Alors, promettre un million de colons à la surface de Mars dans les vingt prochaines années n’est pas réaliste. Cette conquête sera d’abord scientifique parce que comme Christophe Colomb, justement, ce qui motive l’homme avant tout, c’est la découverte de nouveaux rivages avec un objectif clair : être utile à la société. Mars sera la prochaine étape, mais l’aventure reste tellement complexe qu’elle se fera d’abord avec un équipage de 5 à 10 personnes professionnelles. Pour cela, il faudra d’abord faire atterrir sur une planète pratiquement dépourvue d’atmosphère près de 40 tonnes de logistique. Et ça, malgré tout ce qu’on nous raconte, à l’heure actuelle, on ne sait pas faire. Donc restons prudents sur les annonces de calendrier.
Ensuite, une fois passée la phase de la découverte, viendra une période d’appropriation où nous devrons apprendre à vivre sur ce territoire hostile. Et enfin, peut-être, pourra-t-on envisager d’y envoyer beaucoup plus de personnes. Ce séquencement me semble compliqué à inverser ou à dépasser. Il ne faut pas s’interdire de rêver bien sûr, mais en sachant garder les bonnes proportions. Aujourd’hui il faut faire la part des choses entre ce qui est fantaisiste et ce qui est raisonnable. Mais je tiens à garder un enthousiasme d’enfant et je reconnais qu’Elon Musk a su apporter à notre secteur un petit grain de folie : la fusée réutilisable, personne n’y croyait et désormais elle domine outrageusement le marché des lanceurs. Musk a fait bouger les choses et continuera à le faire.
La science et les agences spatiales continueront donc à être les moteurs de la conquête spatiale ?
Absolument. J’en veux pour preuve, puisque nous parlons business et fusée réutilisable, que SpaceX n’aurait jamais pu faire son Falcon 9 s’il n’avait pas eu les financements de la Nasa. Idem pour son futur Starship : pour l’heure, il apparaît comme une des nombreuses briques du programme américain Artemis et servira à atterrir sur la Lune. Rien de plus. Et il est en grande partie financé sur les deniers des contribuables américains. Musk ne pourrait rien faire sans cet argent-là. Jeff Bezos a sans doute une vision un peu différente en voulant financer sa fusée avec son propre argent et en se cantonnant à l’orbite basse. Sa vision à lui est de « coloniser » cette orbite située entre 400 et 600 kilomètres d’altitude, pas de créer une espèce multiplanétaire. Là, il imagine délocaliser nos industries lourdes, notamment les plus polluantes. Depuis, de nombreuses sociétés privées se sont engouffrées dans la brèche avec des projets très différents. Dans cette effervescence, il faut vraiment distinguer les espoirs et la réalité. Enfin, ce partenariat public-privé doit être vertueux. Si les agences spatiales comme la Nasa donnent des contrats à un Elon Musk, c’est qu’elles en attendent un bénéfice. En l’occurrence, il s’agit là de mettre au point des fusées plus rapidement pour retourner sur la Lune. Mais la Nasa développe aussi son propre lanceur lourd, le SLS, avec Boeing, qui doit effectuer ses premiers essais cette année : pour atteindre un objectif, on double les moyens d’y parvenir. Dans notre métier de l’ingénierie, on appelle cela la « redondance », pour être certain de ne pas dépendre d’un seul système et pour que le programme avance si l’un ou l’autre était défaillant. Nous verrons bien dans les prochaines années si les cartes doivent être rebattues.
Dans ces développements industriels récents, n’assiste-t-on pas à une forme de marchandisation de l’espace, notamment avec le développement du tourisme spatial ?
Le tourisme spatial emprunte deux voies : d’une part, celle d’un Bezos ou d’un Branson qui font du vol suborbital, c’est-à-dire une grosse parabole jusqu’à 100 kilomètres d’altitude ; et de l’autre, encore SpaceX [NDLR : associé à la société Axiom], qui a permis en avril un séjour de plusieurs jours à bord de l’ISS. Ce sont deux activités différentes. Mais toutes deux restent extrêmement mineures par rapport au battage médiatique qui en est fait. Bezos a effectué cinq vols avec son New Sheppard, Branson n’a pas redécollé depuis son vol inaugural il y a un an. Enfin, du côté de SpaceX et Axiom, on ne compte qu’un séjour.
Mais il ne faut pas pour autant rester aveugle par rapport à la tendance qui se dessine : ce tourisme va prendre un réel essor. Moi, simplement, je ne voudrais pas qu’il reste une activité d’ultrariches qui se font plaisir en polluant. Je suis pour le tourisme spatial à condition qu’il se développe comme l’exploration spatiale, c’est-à-dire en étant utile au plus grand nombre. Certains industriels vont dans ce sens, par exemple, en imaginant des stations spatiales privées, mais avec un module dédié à la recherche. Enfin il y a une vision peut-être plus « romantique » des choses : aux premiers temps de l’aéronautique, il y eut l’ère des pionniers avec une poignée de privilégiés qui ont lancé l’aviation devenue aujourd’hui un transport de masse. Il n’est pas exclu que nous vivions la même chose avec le tourisme spatial. A condition que l’on réduise son impact carbone.
Depuis votre retour sur Terre, vous affirmez clairement que la prochaine étape, pour vous, c’est la Lune. On y va tout droit ?
Oui, l’homme est reparti pour s’y poser à nouveau. La volonté politique est là, les budgets aussi et, à travers le programme Artemis de la Nasa auquel participe l’ESA, le plan de route est arrêté. Nous ne sommes plus dans le virtuel. J’étais en Floride il y a quelque temps et la fusée géante SLS, qui doit nous permettre ce retour, était dressée sur son pas de tir. C’est un monstre, comparable à la mythique Saturne 5 des expéditions Apollo et qui atteint une hauteur d’environ 135 mètres. C’est deux fois plus que la Falcon 9 ; c’est très impressionnant. On espère un premier lancement-test d’ici à la fin de l’été. Il sera crucial pour la suite et de lui, dépendra le calendrier. Pour l’heure, on reste sur l’idée d’une présence humaine autour de la Lune, via une station appelée Gateway, au milieu de la décennie 2020. Nous, les Européens, dans le cadre de nos accords avec la Nasa, on espère y accéder dans la seconde partie de la décennie. De leur côté, les Américains veulent rapidement (autour de 2025) poser le pied à nouveau sur le sol lunaire et en ce qui nous concerne, il faudra probablement attendre la fin de la décennie. Ce qui reste quand même un immense rêve d’astronaute. En ce qui me concerne, bien évidemment, je répondrai présent. Et je suis optimiste. De ma génération, nous sommes trois candidats – des trois pays moteurs en matière de vols habités (France, Allemagne, Italie) – à être en pole position pour participer à ce programme.
Toutes les techniques utilisées sur la Lune serviront à un autre objectif, plus lointain, la planète Mars, présentée comme « la nouvelle frontière de l’humanité ». Pourquoi un tel attrait ?
Parce qu’elle est la soeur jumelle de la Terre – même taille, même âge – et qu’elle nous est accessible, contrairement à d’autres astres du système solaire [NDLR : elle se situe en moyenne à environ 75 millions de kilomètres]. Par le passé, elle a eu une atmosphère bien plus importante que celle d’aujourd’hui et l’eau a coulé à sa surface – il en reste des traces sous forme de glace enterrée ou au niveau des pôles. Bref, il y a très longtemps, Mars fut habitable et a accueilli toutes les conditions pour qu’une forme de vie s’y développe. Puis tout s’est arrêté.
On aimerait bien savoir pourquoi. Cela pourrait aussi nous aider à expliquer, surtout dans le questionnement actuel du réchauffement climatique, les destins si opposés de ces deux planètes telluriques si proches. Mieux, la comprendre est une façon d’anticiper une évolution possible de notre propre Terre. Enfin, Mars est un « livre ouvert » qui nous aidera à mieux comprendre nos propres origines puisque, contrairement à la Terre où la tectonique des plaques et l’érosion ont englouti tous les vestiges d’un passé minéralogique au-delà de 3,5 milliards d’années, elle n’a pas connu de mouvements internes aussi importants. Son sous-sol renferme les archives des planètes telluriques qui nous tendent les bras. Comme souvent dans les missions scientifiques dans l’espace, l’objectif est d’en apprendre plus sur nous. Ce voyage-là, long et périlleux, je ne le vois pas se profiler avant 2035 -2040. Une véritable éternité pour un astronaute.
Opinions
La chronique de Robin Rivaton
Chronique
La chronique de Pierre Assouline
Chronique
[ad_2]
Source link